Je profite du repos estival pour écluser (un peu...) mes lectures en retard. Notamment celles sur le saumon en tête de bassin, sujet intéressant car il démontre à mon sens l'urgente nécessité de distinguer petite et grande hydrauliques.
Cette carte est extraite de Roule Louis (1920),
Etude sur le saumon des eaux douces de la France considéré au point de vue de son état naturel et du repeuplement de nos rivières, Imprimerie nationale (on le trouve sur Gallica)
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L'auteur observe : « Jadis et jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, les saumons remontaient régulièrement le fleuve [Seine] et traversaient Paris pour aller plus amont. Leur principale région de ponte était placée dans le massif du Morvan ; elle appartenait au bassin de la Cure, affluent de l’Yonne. Actuellement, aucune montée régulière n’a lieu et les frayères sont souvent désertées, comme pour la Meuse. Il faut accuser de ce fait l’établissement de barrages entre l’estuaire et la région de ponte, ainsi que la pollution des eaux produite par l’agglomération parisienne (…) Les anciens barrages n’étaient pas très nuisibles. Peu élevés, construits en plan inclinés, ils pouvaient s’opposer à la montée pendant les périodes de basses eaux, mais non en crues ni en eaux moyennes ; ils se couvraient alors d'une lame d’eau suffisante pour le passage, et le courant sur leur plan incliné n’était pas assez violent pour arrêter l’élan des Saumons. Tel n’est pas le cas des barrages actuels, plus élevés et verticaux (…) La montée reproductrice se trouve arrêtée complètement, sauf parfois dans le cas des crues exceptionnelles et dans les barrages de hauteur moyenne qui peuvent être noyés sous la lame d’eau »
Les "pollutions" parisiennes en milieu et aval de bassin sont une chose, mais en tête de bassin Seine (donc en Morvan), elles avaient commencé au XVIe siècle, comme l'ont montré certains historiens (Paul Benoît, Charles Reze). Il fallait en effet alimenter la capitale en bois de chauffage et de construction, donc des députés de la ville sont venus en Morvan pour y estimer le stock exploitable. Des rectifications de rivière et constructions d'étangs ont été entreprises, les meuniers devant prévoir des passe-lits permanents ou transitoires (ici, une propriétaire sur le Cousin affluent de la Cure a retrouvé en archive la trace des obligations de démonter / remonter l'extrémité du seuil pour assurer le passage des "trains de bois"). Tout cela a duré jusqu'au début du XXe siècle. Le flottage n'avait rien de bénin pour les milieux, comme le montrent les premières photographies ! On imagine que les fonds de rivière étaient colmatés par les écorces, leur chimie éventuellement changée par des tanins. Malgré cela, on témoignait encore de frayères à saumon au XIXe siècle jusqu'à l'étang des Settons sur la Cure (monographies de Moreau et Bert sur les poissons de l'Yonne).
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A noter enfin le rôle de la pêche et surpêche, non négligeable à l'époque où cette activité était vivrière, où la religion catholique imposait jusqu'à 120 jours sans viande, où les campagnes étaient peuplées et les crises frumentaires encore fréquentes. Moreau (1898) souligne ainsi pour le Morvan : « au lieu d’introduire des espèces étrangères dans nos cours d’eau, il faut conserver celles qui s’y trouvent naturellement, surtout celles qui sont aussi estimées que le Saumon commun, en empêcher la destruction abominable comme celle qui se pratique dans l’Yonne, dans la Cure. Au mépris de la loi, on prend en masse les Saumons arrêtés par les barrages établis sur le cours de l’Yonne ».