Après sa première mouture annoncée plus haut, voici le commentaire du Collectif des Moulins et Riverains de Bretagne. Nous tenons à remercier tout particulièrement l’Hydrauxois et l’OCE pour la force et la qualité de leurs écrits, d’un concours précieux dans les débats présents ou à venir. Un grand merci aussi à la dynamique stimulante, technique comme conceptuelle, de ce Forum de la petite hydroélectricité. C’est cette expertise des usages de l’eau – passée des mains de meuniers à celles de politiques via une administration murée dans sa vérité et des organismes plus soucieux de subventions que de rigueur scientifique – que nous devons nous réapproprier. Pour contrer ce « pouvoir supposé savoir » que démonte remarquablement Charles-Yves Zarka
http://dialogues.univ-paris5.fr/spip.php?article174
Cordialement,
Charles Ségalen
Commentaire du Collectif des Moulins et Riverains de Bretagne [1]
Ce projet d'arrêté, consécutif au décret du 1er juillet 2014 « harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques », atteste d'une volonté persévérante de faire croire que la petite hydroélectricité constituerait une nuisance pour l'environnement.
Cette hypothèse repose sur l'interprétation biaisée que fait la France de la Directive Cadre 2000 sur l'eau par l’introduction d’une notion de « continuité écologique » (libre circulation des poissons et transit sédimentaire) en lieu et place de la reconquête de la qualité de l'eau. En effet, le « bon état » des masses d'eau se définit d'abord par son bon état chimique et son bon état écologique. Ce dernier s'appuie sur le respect des paramètres biologiques et physico-chimiques qui ont un impact sur la biologie. La morphologie des cours d'eau n'est donc pas un critère décisif.
Les seuils de moulins, vieux de plusieurs siècles et correctement gérés, et leur fonction première d'utiliser la force motrice de l'eau pour produire de l'énergie, gardent toujours potentiellement un rôle économique compatible, aujourd'hui comme hier, avec la faune piscicole. La DCE recommande donc une gestion équilibrée des cours d'eau qui fait place aux différents usages, dont l'usage économique qui englobe le potentiel énergétique qu’elle privilégie.
L’interprétation française de la DCE est contredite par de récentes études scientifiques qui attestent que la corrélation entre facteurs hydromorphologiques et dégradation piscicole est faible, et que l'excès de nutriments et de substances chimiques reste le premier facteur de dégradation :
- Veronica Dahm et ses collègues du Département d'écologie aquatique de l'Université de Duisburg-Essen (Allemagne) et de l'Institut d'hydrobiologie et de management des écosystèmes aquatiques de l'Université des sciences de la vie de Vienne (Autriche) [2].
- Kris Van Looy, Thierry Tormos et Yves Souchon de l'IRSTEA de Lyon (rattaché à l'ONEMA), Disentangling dam impacts in river networks publiée dans la revue
Ecological Indicators [3].
- «Organic chemicals jeopardize the health of freshwater ecosystems on the continental scale», étude des pollutions organiques de 4000 sites européens publiée par une équipe française (EDF, CNRS-Université de Lorraine), suisse (Institut fédéral de science et technologique aquatique, Dübendorf) et allemande (Universités de Leipzig et de Coblence-Landau) [4].
Elle est contredite par l'administration elle-même quand les Agences de l'eau annoncent une dépense de 1,9 milliard d'euros (programme 2013-2018) pour l'arasement ou l'aménagement des seuils, et que l'Agence de l'eau Adour-Garonne par exemple programme la construction de 30 barrages destinés à l'irrigation de l'agriculture [5].
Dans un contexte de transition énergétique et de développement attendu des énergies non carbonées, c'est la même contradiction qui apparaît quand le Schéma Régional Climat Air Energie de Bretagne par exemple entend ignorer le potentiel de la petite hydroélectricité (42 MW) pour faire la promotion de celui, équivalent, de la méthanisation dont personne n'ignore l'impact sur l'environnement.
Comment une administration peut-elle tout à la fois prôner le développement des énergies renouvelables, taire le potentiel de la petite hydroélectricité - 1 GW possible en équipement de sites déjà existants, soit l’équivalent d’un réacteur nucléaire [6] - et, sur des bases scientifiques discutables, s’employer à le contrer par un arsenal réglementaire exempt de débat démocratique ?
Les propriétaires d'installations hydrauliques, soucieux des contraintes environnementales, n'ont pas attendu la publication d'arrêtés pour aménager leurs ouvrages. Il est permis de douter que l'inflation de pressions actuelle contre le développement de la petite hydroélectricité obéisse aux exigences européennes. Au regard des condamnations régulières de la France pour non respect de la Directive nitrates et à défaut d’établir scientifiquement l’impact des seuils aménagés sur la (mauvaise) qualité de l’eau, il sera difficile de cacher longtemps à l'opinion le lien entre cette course à la ''continuité écologique'' et l'évitement des mesures attendues par la DCE.
Plutôt que de continuer d'avancer ''à l'aveugle'' avec des connaissances scientifiques peu étayées ou partiales et des projets d’arrêtés assortis de consultations publiques expéditives, de nature à accentuer les tensions et le contentieux avec les usagers, il conviendrait d'admettre le principe d'un moratoire sur la mise en œuvre de l'article L.214-17 du Code de l'environnement.
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[1] Le Collectif des Moulins et Riverains de Bretagne regroupe :
- l'Association des Moulins du Finistère
- l'Association des Moulins et Riverains des Côtes d'Armor
- le Collectif des Moulins et Riverains du Morbihan
- l'Association de Sauvegarde des Moulins de Bretagne
[2]
http://link.springer.com/article/10.100 ... 012-1431-3
[3]
https://hal.archives-ouvertes.fr/file/i ... 039414.pdf
[4] Etude présentée dans Hydrauxois,
http://www.hydrauxois.org/2014/07/pollu ... tains.html
[5]
http://www.lesechos.fr/journal20141028/ ... 058198.php
[6] « Pas besoin de l’énergie hydraulique pour la transition ? », Hydrauxois,
http://www.hydrauxois.org/search/label/Energie[quote][/quote]